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Afrique et Investissement Privé : où en est-on?
Honneur au Sénégal, où j'étais il y a 10 jours pour une conférence sur l'investissement
Un grand merci pour vos retours et vos encouragements. N’hésitez pas à partager si les sujets vous intéressent : quand on aime, on partage, non ? Vous souhaitez me faire un retour, une proposition, un commentaire ? Je réponds à toutes les sollicitations et je suis ravie de co-construire cette newsletter (ainsi que mon podcast Africa’s Investor Call) avec vos retours.
Pour rappel, la newsletter est structurée en 3 temps et les sujets du jour sont 🥁:
Le 101 (une information globale sur le système financier du continent) : les agences de notation avec un épisode podcast spécial sur le sujet pour aller plus loin
Les Trends (une info “marché”, qui donne le pouls et les tendances) : j’ai participé à la conférence du private equity africain à Dakar
Le Spotlight (un coup de projecteur sur un projet qui a du sens) : la ferme intégrée, un cas concret
Le 101
Ma première newsletter (ici) parlait de bourses africaines et marchés de capitaux : ces places de marchés où les différentes parties décident de s’échanger des flux financiers sur la base d’un certain niveau de confiance.
Comment déterminer ce niveau de confiance, pierre angulaire du système ?
Pourquoi prêter à Paul et non à Jacques ? Pourquoi investir chez Amina plutôt que chez Aya ?
Plusieurs solutions existent. Aujourd’hui, zoomons ensemble sur le rôle des agences de notations financières (appelées aussi agence de rating), peu visibles dans les médias et pourtant incontournables lorsqu’on parle de crédit et d’emprunt à grande échelle.
Leur Proposition de valeur ? Ces agences sont engagées pour analyser les entreprises, les banques, les États et institutions. Avec leur propre modèle d’analyse financière et une étude stratégique de ces clients (étude du marché incluant concurrence, positionnement, relations externes (notamment dépendance à l’Etat, etc) elles fournissent un rapport et délivrent une note accompagnée de leur prévision d’évolution de cette note.
Avec cette note officielle et publique, l’entreprise ou l’institution en question peut (plus ou moins) négocier ses emprunts avec ses partenaires financiers car l’agence représente cet acteur tierce neutre, objectif et impartial (donc digne de confiance) entre l’emprunteur et le prêteur.
Tous les états, et donc les états africains, sont notés par, au moins 2 des 3 grandes agences qui sont Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. Ces trois agences détiennent 90% du marché global.
La plupart du temps, elles notent leurs clients sur leur capacité à rembourser leurs emprunts…en dollars (USD), ou euro (EUR) ou autres devises fortes.
Seulement échanger du CFA, par exemple, contre de l’EUR ou du USD, c’est difficile et coûteux. Cette difficulté supplémentaire à échanger la monnaie locale contre l’euro ou le dollar est reflétée dans ces notes, pénalisant, par conséquence, le « profil de risque » intrinsèque.
Et si on sortait l’accès aux devises étrangères de l’équation? Si on se focalisait sur la capacité d’un état à rembourser ses emprunts dans sa propre devise : quel serait le profil de risque ?
Les 3 grandes agences donnent aussi des notes en “monnaie locale” mais certains débattent de la pertinence de le faire depuis New York ou Londres, c’est-à-dire l’extérieur du continent.
Et bien, Stanislas Zézé, a décidé, il y’a quelques années de créer sa propre agence de notation financière panafricaine, depuis Abidjan. Il en parle plus précisément et de manière très pédagogique dans l’épisode du podcast de cette semaine. Avec son agence Bloomfield Investment, il prend le pouls des entreprises et États d’Afrique, et base son analyse sur des informations au plus près du terrain, un modèle qui séduit d’ailleurs de plus en plus la concurrence…
La Trend
Fin avril, j’étais à Dakar pour la conférence de l’AVCA, l’association de Private Equity et Venture Capital en Afrique. Ses 200 membres (des fonds d’investissement en majorité) se sont réunis pour la première fois sur le continent depuis le COVID.
J’ai beaucoup discuté, échangé et appris pendant cette semaine à Dakar, ma ville de cœur ♥️
Côté chiffre, la tendance est indiscutable :
2021 est une année record, avec 7,7 milliards de dollars d’investissement
Les volumes les plus importants sont dans le capital-risque (54%) et dans les grands projets d’infrastructure
Chaque région (Nord, Ouest, Sud, Est) du continent a son pays phare : Egypte,Nigéria, Afrique du Sud et Kenya
Et plus généralement, on a pu faire le point sur la dynamique des sous-régions du continent et du rôle des fonds de pension africains et internationaux (oui, les fonds de pension US s’intéressent au continent ! That’s interesting)
Puis on a discuté de l’investissement à impact et l’Afrique.
L’atteinte des 17 objectifs de développement durable est un sujet global qui devrait concerner tout le monde. Par A+B, ces fonds d’investissement démontrent que la recherche d’impact est dans leur ADN :
L’impact et l’Afrique, ce n’est pas nouveau : ces fonds privés (appelés general partners) gèrent leurs investissements avec l'accord des limited partners (ces partenaires financiers qui apportent de l’argent au general partner). Bien souvent, pour les fonds africains, on retrouve en limited partners des institutions financières de développement (ex : la Banque mondiale à travers la Société Financière Internationales ou IFC). Et ces dernières n’investissent que sous conditions de critères d’impact spécifiques, et cela depuis longtemps (on peut trouver les critères exigés pour toute collaboration par l’IFC ici datant de plus de 15 ans!).
Plusieurs acteurs internationaux ont pu témoigner : les retours financiers de leurs investissements africains sont supérieurs à tous les autres investissements de leurs portefeuilles. Ils prouvent ainsi qu’investir avec des critères responsables peut être synonyme de développement rentable et durable.
Pourtant, le chemin pour constituer ces fonds d’investissement privés spécialisés sur l’Afrique est beaucoup plus compliqué qu’ailleurs. Et convaincre des limited partners privés est un travail de longue haleine car la “perception” du risque est bien souvent plus défavorable que la réalité…
Un des intervenants dira d’ailleurs qu’il constate que le succès de l’Afrobeat nigérian à contribuer à baisser la perception du pays…Burna Boy et Wizkid qui participent à changer le regard des financiers, qui l’aurait crû !
Le Spotlight
La dernière fois, je parlais de ferme intégrée (ici). Ces fermes intégrées, mêlant savoir-faire traditionnel et ingénierie agronomique, sont une piste sérieuse pour répondre:
à la problématique d’auto-suffisance alimentaire (l’insécurité alimentaire en Afrique s’est accentuée ces dernières années)
de production écologique et circulaire
de réduction de la pauvreté par l’emploi
… en fait, à environ 10 des 17 objectifs de développement durable définis par les Nations Unies
C’est avec un jeune entrepreneur sénégalais que j’ai pu en parler plus concrètement. Il a déjà lancé les premiers jalons de sa ferme de 10 hectares à 100 km de Dakar.
Son projet ? Produire des cultures maraîchères (tomates, maïs etc.), fruitières (mangues, citrons) et culture d’arachides dont les déchets serviront à nourrir les poulets qu’il va élever à l’air libre. Les poulets, qui représentent une industrie florissante au Sénégal, produiront des déchets qui serviront d’engrais aux terres. Il prévoit d’employer 4 personnes et d’en former 4 autres dans un pays où le taux de chômage est de 17%.
Subventionné en partie par le gouvernement, le projet génère beaucoup de frais de départ et de fonctionnement : forage responsable du puits, système de micro-irrigation avec goutte à goutte, construction des locaux pour stocker les outils, mise en place de plomberie, installation de panneaux solaires, achat d’intrants raisonnés…
Ce projet est en spotlight cette semaine car le secteur agricole et l’agri-business reste encore très largement sous-financé. Ce que disait, en 2018, Fatima Ezzahra Mengoub, agro-économiste, spécialiste des sujets de sécurité alimentaire et d’agriculture, est encore d’actualité:
L’investissement agricole est une condition nécessaire pour développer et organiser le secteur agricole en Afrique. Le potentiel agricole Africain présente des opportunités à saisir en termes d’intensification de production et structuration des chaines des chaines de valeurs agricoles. Bien que diversifié (issu de plusieurs sources publiques, privées et étrangères), l’investissement agricole demeure faible. Le basculement vers une agriculture moderne et intensive doit nécessairement passer par l’élaboration d’une politique agricole globale qui prend en considération plusieurs volets (irrigation, utilisation des inputs et organisation des circuits) et aboutit à la fin à une production agricole suffisante capable d’assurer la sécurité alimentaire de la population et à un secteur agricole actif et bien intégré dans l’économie des pays africains. (article complet)
Food for thoughts…